- OUTRE-MER (DÉPARTEMENTS ET TERRITOIRES D’)
- OUTRE-MER (DÉPARTEMENTS ET TERRITOIRES D’)Des caractères comparables unissent toutes les collectivités françaises d’outre-mer: départements (D.O.M.), territoires (T.O.M.) et collectivités spéciales. Cependant, les facteurs qui gouvernent situation et avenir des D.O.M. (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion), d’une part, des T.O.M. (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna, Terres australes et antarctiques françaises) et des collectivités spéciales (Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon), d’autre part, sont bien différents. Le panorama des situations particulières établit clairement qu’aucune banalisation du traitement des questions qu’elles suscitent n’est possible. Au moment même de la mondialisation de la vie économique, la spécificité de chacune d’elles appelle un rôle très vigilant de la puissance étatique française, soit pour maintenir des systèmes originaux, soit pour favoriser leur évolution, en toute hypothèse pour négocier, avec l’Europe ou avec tout autre partenaire, les conditions des transformations.Des facteurs communsPartout (sauf à Saint-Pierre et Miquelon), l’héritage colonial se traduit par des mosaïques et des mélanges ethniques. 3 p. 100 de la population française (environ 2 millions de personnes) vit outre-mer. Dans les D.O.M. (1,5 million d’habitants), la croissance démographique reste, malgré la régression de la fécondité, quatre fois plus forte qu’en métropole. Une population toujours jeune (37 p. 100 de moins de vingt ans contre moins de 27 p. 100 en moyenne nationale) est toutefois moins nombreuse que par le passé à venir chercher place en France continentale (où l’on compte environ 600 000 personnes originaires des D.O.M. ou descendants), tandis que s’amorce un mouvement de retour des anciens migrants âgés ou de leurs enfants. La densité humaine est généralement élevée (de 43 hab./km2 en Polynésie à 230-320 hab./km2 dans les D.O.M.), sauf en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Le total des zones économiques exclusives atteint presque 11 millions de kilomètres carrés, soit plus de 96 p. 100 de l’espace de souveraineté maritime de la République.Au handicap de l’insularité (Guyane exceptée) s’ajoutent ceux de la distance (la France est à quelque 7 000 km pour les départements d’Amérique, aux antipodes pour la Nouvelle-Calédonie); de la géographie (reliefs souvent volcaniques, terrains mouvementés); du climat (passages cycloniques sous les tropiques, cloche équatoriale en Guyane); d’économies de micromarché; des prix de revient élevés (la bonification du coût du capital résultant des aides à l’investissement ne compense pas un coût du travail beaucoup plus fort que dans les pays voisins); de l’inégalité des conditions d’échange avec les pays A.C.P. (conventions de Lomé), dont les produits bénéficient de la politique européenne d’ouverture commerciale, tandis que les exportations des D.O.M. se heurtent aux conditions que ces pays ont la liberté d’établir à leur gré; etc.Les P.I.B. des pays d’outre-mer, inférieurs d’environ un tiers à celui de la métropole, sont bien supérieurs à celui de la plupart des pays de la zone caraïbe et de l’océan Indien, et dans le peloton de tête de ceux du Pacifique. Leur composition est artificielle. Formés pour 65 p. 100 de transferts de la métropole, ils masquent de fortes inégalités sociales: le taux de chômage est souvent voisin de 30 p. 100; en dehors du secteur agricole, où les petits exploitants sont à la limite de la survie, les revenus non salariaux sont plus élevés qu’en moyenne nationale, de même que l’est la moyenne des salaires distribués, dont ceux de la fonction publique (58 000 agents civils et 17 000 personnels militaires perçoivent de 40 p. 100 – dans les D.O.M. – à 70 p. 100 – dans les T.O.M. – de plus qu’en métropole); la fiscalité privilégie les meilleurs revenus (pas d’impôt sur ceux-ci en Polynésie; fiscalité récente et modeste en Nouvelle-Calédonie, écrêtée d’un tiers dans les D.O.M.). Elle coexiste avec un certain retard du niveau des prestations sociales par rapport à la métropole. Dès lors, les activités de grand négoce et de services sont parfaitement rentables, mais les activités de transformation connaissent une situation fragile; elles vivent largement sous la protection que leur apportent des systèmes de taxes à l’entrée: l’«octroi de mer» des D.O.M., qui, redistribué par les régions, constitue d’ailleurs le tiers des ressources des communes, et les «tarifs généraux d’importation» dans les T.O.M., qui fournissent de 25 à 40 p. 100 des recettes des budgets de fonctionnement.L’importance de ces ressources est liée au déséquilibre structurel des commerces extérieurs. En dehors de la Nouvelle-Calédonie, dont le nickel fait les exportations, le taux de couverture se situe entre 10 et 15 p. 100. Si les pays d’outre-mer ne bénéficiaient pas de la couverture monétaire de la France (à travers le franc métro, qui est celui des D.O.M., et le franc C.F.P. de parité fixe), les tensions inflationnistes internes iraient de pair avec une dépréciation monétaire révélatrice de la faiblesse d’une économie non autosuffisante tournée vers la consommation.Pays d’économie faible, mais de monnaie forte, D.O.M. et T.O.M. ont pour autre élément de solidité la qualité des infrastructures et, malgré quelques retards, des services publics. Toutefois, malgré un effort très élevé en matière de logement, tous les grands sites urbains sont marqués du cloaque de bidonvilles.Important support de la recherche technologique (par l’O.R.S.T.O.M., l’Ifremer, le C.E.A., le Centre d’expérimentations du Pacifique, le Centre spatial guyanais, notamment), l’outre-mer unit à son intérêt stratégique un poids d’autant plus important dans la vie politique intérieure que les revendications centrifuges semblent y être devenues marginales. Tous ses habitants sont également citoyens de la République et représentés au Parlement par vingt-deux députés et treize sénateurs.Aussi est-il logique, dans l’ordre de la vigilance politique, qu’un ministère particulier soit en charge de ce champ géographique de la France. Ses budgets propres de fonctionnement, d’intervention et d’investissement, dont le total dépasse annuellement 2 milliards de francs, ne constituent qu’une partie des dépenses civiles de l’État pour l’outre-mer, qui approcheront bientôt 30 milliards de francs, atténuées pour environ un tiers par les recettes réalisées par l’État dans les D.O.M. (le transfert net moyen est ainsi de 10 000 francs par habitant et par an au bénéfice de ceux-ci, et de 13 000 francs pour les T.O.M.). Il faut y ajouter 10 milliards de francs de déficit des régimes de protection sociale et de 15 à 20 milliards de francs d’encours de crédits spéciaux gérés par la Caisse centrale de coopération économique.Différents avantages fiscaux, dont des taux réduits de T.V.A., engendrent une moins-value fiscale de 7 milliards de francs. Ils incluent un régime de défiscalisation des investissements récemment aménagé et reconduit jusqu’à 2001. Ce système a permis – en suscitant par exemple, en 1989, 5,3 milliards de francs d’investissements – un renouvellement des immobilisations des entreprises, un fort, mais parfois anarchique, développement du logement, de l’hôtellerie et de la plaisance, ainsi que des opérations de désenclavement (financement d’avions, de partie d’aéroport).L’outre-mer n’a pas bénéficié, malgré certaines demandes en ce sens (des îles du nord de la Guadeloupe et de Saint-Pierre et Miquelon), d’une politique d’attraction des opérations financières de non-résidents par des systèmes de «paradis fiscaux» qui lui font largement concurrence dans les mêmes zones géographiques. Quant au simple modèle des zones franches (en matière fiscale et non sociale) qui avait été ouvert en 1986, il n’a pas eu de succès, les collectivités locales ne voulant pas perdre la moindre recette.Des réalités contrastéesPour le reste, l’outre-mer n’a pas d’autre unité que de vocable. Depuis 1946, l’histoire française, qui distingue D.O.M. et T.O.M., et, depuis 1957, l’intégration européenne (les D.O.M. appartiennent au territoire douanier communautaire) donnent à chaque ensemble un cadre institutionnel et des règles du jeu économique et social distincts.Règles institutionnellesLa loi du 4 mars 1946 (départementalisation des anciennes colonies d’Amérique et de la Réunion) combinée à la loi de décentralisation du 2 mars 1982 a conduit pour les D.O.M. à un fonctionnement départemental pratiquement de droit commun. L’originalité résulte de la superposition de l’organisation régionale au niveau du département, de telle sorte que coexistent, dans une circonscription unique, deux assemblées locales.Quant aux T.O.M. et aux collectivités spéciales, ils jouissent respectivement, dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, d’un régime sur mesure qui ventile les compétences entre l’État, le territoire et les autres collectivités. Dans les D.O.M., les lois nationales s’appliquent de plein droit, mais peuvent prévoir des dispositions d’adaptation. C’est, au contraire, le principe de la spécialité législative qui s’applique dans les T.O.M., où les lois nationales ne sont pas applicables, sauf mention spécifique ou texte particulier; la spécificité de ce statut des T.O.M. a été renforcée par la révision constitutionnelle de juin 1992.C’est par des consultations (obligatoires) des assemblées locales des T.O.M. comme des conseils généraux des D.O.M. et le recueil (facultatif) des avis des régions que se réalise un véritable partenariat législatif.Régimes sociauxLes habitants des T.O.M. sont des citoyens de droit social des gouvernements locaux (dont les systèmes de garanties sont inégalement avancés), tandis que les habitants des D.O.M. sont des citoyens de droit social de la République, qui définit et gère directement leur situation à ce titre.Les travaux de diverses commissions ont conduit à proposer la réduction des avantages des fonctionnaires – ce qui est difficile à mettre en œuvre –, le rattrapage de retards de services publics – ce qui se heurte aux contraintes budgétaires – et l’alignement sur la métropole, mais étalé dans le temps, des avantages sociaux – ce qui s’effectue avec précautions.La mise en œuvre, dès 1989, du revenu minimum d’insertion dans les seuls D.O.M. n’a connu qu’une adaptation principale: les quatre cinquièmes du droit sont versés au bénéficiaire, et il est fait masse du dernier cinquième en une «créance de proratisation». Unie à une contribution des conseils généraux, cette ressource constitue le moyen d’abonder (pour 600 MF) des actions sociales dont, pour 80 p. 100 de son emploi, le logement. Près de 300 000 personnes sont intéressées (dix fois le pourcentage de la métropole) par une dépense d’environ 2 milliards de francs par an.Réalités économiquesÀ côté des autres régions que l’Union européenne (U.E.) considère comme «ultrapériphériques» (Açores, Canaries, Madère), les régions françaises d’outre-mer trouvent place dans l’ensemble juridique communautaire. Mais l’arrêt Hansen (1978) de la Cour de justice des Communautés européennes a établi qu’elles pouvaient bénéficier des adaptations appropriées du droit communautaire prévues par l’article 227-2 du traité de Rome.Bien différente est la situation des T.O.M. qui sont au nombre des pays et territoires d’outre-mer (P.T.O.M.) liés à l’U.E. par des décisions d’association (elles concernent vingt pays des anciens empires européens) dont la première date de 1957 et la dernière de 1991. Le principe est de non-discrimination en ce qui concerne la liberté de circulation et d’établissement. Toutefois, il est désormais reconnu aux autorités des P.T.O.M. la faculté d’y déroger en faveur de l’emploi de leurs ressortissants.Sur le plan commercial, les produits originaires des D.O.M. comme des T.O.M. peuvent librement entrer sur le territoire communautaire. Dans le sens inverse, les produits de l’U.E. doivent être tous traités de la même manière. Cette règle est compatible avec les tarifs généraux d’importation des T.O.M. qui frappent toutes les entrées. Dans le cas des D.O.M., la Communauté a exigé en 1989 une réforme de principe de l’octroi de mer, qui subordonne son maintien jusqu’en 2003 à l’existence d’une taxe intérieure frappant pareillement les mêmes produits localement obtenus; toutefois, les conseils régionaux peuvent exonérer, avec le nihil obstat de la Commission de Bruxelles, des productions locales à protéger ou à promouvoir.De plus, les D.O.M. sont soumis aux principes que s’impose l’U.E. pour aider au commerce des pays de la convention de Lomé (franchises d’entrées: protocoles spéciaux pour le rhum et la banane) et aux règles du marché unique. Or les Antilles, où les prix de revient sont trois fois supérieurs à ceux des pays concurrents (pour des raisons de géographie et de salaires, dont les voisins octroient parfois seulement le dixième), alimentent pour les deux tiers la consommation de bananes de la métropole (le dernier tiers allant aux pays d’Afrique, en vertu d’une décision du chef de l’État en 1962). La libre circulation d’un tel produit non inclus dans la politique agricole commune signifierait son éviction du marché français s’il n’était accordé à la banane antillaise une forme de préférence communautaire (40 000 emplois sont en jeu), ce que combattent les multinationales des fruits. Ce même chapitre a encore mis à l’épreuve la solidarité européenne lors des ultimes négociations qui ont précédé la signature de l’Acte final du cycle de l’Uruguay (conférence de Marrakech, avril 1994).S’agissant de la filière canne-sucre-rhum (50 000 emplois), une organisation communautaire de marché bénéficiant aussi aux pays A.C.P. garantit des quotas et des prix du sucre, mais, pour les Antilles et la Réunion, la rentabilité est liée à la possibilité d’écoulement des rhums traditionnels sur le marché français, où ces rhums payent moitié moins de droit d’accises que les autres alcools. Le régime fiscal privilégié instauré dans le cadre du marché unique ne bénéficiera pas aux seuls rhums des D.O.M., qui seront donc concurrencés.Aucune agriculture de substitution n’est possible à une échelle significative, la diversification se heurtant à l’occupation des créneaux de produits tropicaux par les autres fournisseurs mondiaux à bas prix de revient. De plus, les accords conclus dans le cadre du G.A.T.T. comme les octrois unilatéraux d’avantages aux pays en développement dans le cadre du système généralisé de préférences tendent à libéraliser de plus en plus les systèmes d’approvisionnement de l’Europe.Les D.O.M. sont donc placés sous la menace de ces évolutions. Celle-ci ne résulte pas de leur appartenance à l’Union européenne, puisqu’ils seraient encore plus mal placés à l’extérieur, mais de l’appartenance même de la France au marché unique qui lui interdit de réserver des «niches» à leurs produits.S’agissant des T.O.M., la construction communautaire n’affecte pas les débouchés du nickel calédonien, qui dépend de facteurs mondiaux, ni les petits marchés de la perle noire de Polynésie, ni des pêcheries de Saint-Pierre, où la question est celle de l’accès à la ressource. Protégés, ou presque, à l’égard du droit d’établissement des Européens, ne courant pas de risques commerciaux nouveaux, autorisés à se nourrir de tarifs d’importation, les T.O.M. peuvent recevoir de l’U.E., à travers le Fonds européen de développement, des aides budgétaires qui restent modestes.C’est de l’ordre de dix fois plus par habitant, en contrepartie des problèmes à venir, que les D.O.M. sont dotés par l’U.E. À la faveur de la politique régionale communautaire, sur la période ouverte en 1990, c’est près de 1 milliard d’écus qui auront pu être mobilisés dans les régions d’outre-mer si la conciliation parvient à s’établir entre une décentralisation sourcilleuse d’autonomie et une Commission vigilante dans le suivi de ses contributions. Un doublement de ces aides est prévu à compter de 1995.Des avenirs distinctsAussi bien, l’avenir de chaque collectivité dépend-il largement de facteurs propres à chacune d’elles.Les départements d’AmériqueAppartenant à une civilisation de la Caraïbe, les départements français d’Amérique (D.F.A.) sont néanmoins peu insérés dans le concert régional: en dehors de la Banque de la Caraïbe, dont fait partie la France, celle-ci n’est présente ni dans le Caricom (Carribean Community and Common Market), ni à l’O.E.C.S. (Organization of Eastern Carribean States, qui regroupe les plus petits), ni dans le C.B.I. et le Caribcan (initiatives prises, respectivement, par Washington et par Ottawa pour développer les échanges des grands américains avec les États de la zone), ni dans le «fonds 936» qui favorise les investissements américains à et depuis Porto Rico. La Guyane est en dehors du traité de coopération amazonienne. Les échanges des D.F.A. avec leur environnement représentent une part insignifiante de leur activité, les seules coopérations appréciables ayant lieu dans l’ordre culturel et dans les services publics: un délégué et un fonds interministériel pour la coopération caraïbe ont été mis en place en 1990.Plus encore, les solidarités entre les D.F.A. eux-mêmes sont minces: chacun a son régime d’octroi de mer opposable aux autres. Ce qui les rapproche le plus aujourd’hui est une communauté d’évolution en matière de desserte: l’ouverture du ciel (six compagnies sur les Antilles), consolidée par le fait que les D.O.M. ne sont plus exclus du champ des dispositions communautaires en matière de trafic aérien, a conduit depuis quelques années à l’augmentation d’un tiers du trafic et à la diminution d’autant des prix. Toutefois, le cabotage (escales avec faculté d’embarquement au sein d’un même territoire national) n’est pas permis aux compagnies des autres pays européens, ce qui pénalise les flux touristiques vers ces D.O.M.Appuyées sur Fort-de-France et plus encore sur Pointe-à-Pitre et dans le cadre de «conférences maritimes» prévues par une convention de l’O.N.U. de 1964, les compagnies françaises assurent l’essentiel des liaisons transcontinentales et la totalité du cabotage local.Guadeloupe et Martinique , peuplées respectivement de 420 000 et de 380 000 habitants (estimation de 1993), ont en commun une histoire lourde (la conquête sur les Indiens caraïbes, qui avaient eux-mêmes éliminé les Arawaks; les péripéties des guerres franco-anglaises; le système des plantations et de l’esclavage). La relative avance martiniquaise a placé un temps sous son influence capitalistique le développement guadeloupéen. Dans les deux cas, la culture de la banane a représenté une évolution sociale positive par rapport à l’économie cannière. La Martinique n’est plus productrice de sucre rentable, mais l’est de rhums, tandis que la Guadeloupe, qui, à la faveur du cyclone Hugo en 1989, a pris conscience de la vétusté de ses structures, devrait assurer le remodelage de son industrie sucrière.Les deux îles ont également en partage un fort développement des commerces et des services et une poussée touristique qui tourne à l’excès dans l’île de Saint-Martin, dont une moitié est un P.T.O.M. hollandais, ce qui crée des situations fiscales exorbitantes du droit commun.La répartition du pouvoir fait, sur le plan économique, une place toujours large aux propriétaires fonciers et aux opérateurs commerciaux de vieille souche européenne (les békés), mais intéresse aussi les mulâtres, puis les Noirs; ces deux derniers groupes constituent ensemble plus de 85 p. 100 de populations, plus fortement marquées en Guadeloupe qu’en Martinique, de rémanence et de métissage indiens. L’encadrement administratif est largement peuplé de métropolitains (5 p. 100 de la population). Les postes électifs sont presque tous occupés par des élus de couleur.Toute la classe politique est aujourd’hui consciente des risques d’une évolution molle qui transformerait ces pays en simples paysages peuplés de fonctionnaires, de «RMistes» et de touristes. Une certaine résistance culturelle se fait d’ailleurs sentir à l’égard des formes non intégrées du tourisme.Elle va de pair avec la prodigieuse vitalité culturelle des Antilles: Frantz Fanon, exportant sa révolte, Aimé Césaire, proclamant la négritude, Guy Tirolien, Paul Niger et bien d’autres, s’exprimant par une poésie de rupture, avaient presque effacé jusqu’au souvenir d’un Virgile Savane ou même de Saint-John Perse. Après les écritures d’aliénation de Simone Schwartz-Bart, celles d’initiation de Maryse Condé, la génération de la «créolité» prend le relais: Orville, Glissant, Confiant, Chamoiseau, tandis que la même double souche, en vérité africaine et surréaliste, inspire la musique caraïbe, jusque dans ses caricatures du rap résonnant dans les banlieues de métropole.Terre de bagne de 1852 à 1946, après avoir été la «terre qui tue» pour les immigrants envoyés par tromperie sous Louis XV, puis le pays des chercheurs d’or décimant les tribus indiennes, la Guyane est aujourd’hui terre d’asile avec les pieds dans le marigot et la tête dans les étoiles. Sur quelque 115 000 habitants, les étrangers – dont le nombre a doublé depuis 1982 – sont près d’un tiers, dont 40 p. 100 de Surinamiens réfugiés à cause de la guerre civile. D’autres Latino-Américains, Haïtiens et Brésiliens notamment, concourent aussi à nourrir les besoins en emplois des chantiers qui laissent néanmoins un chômage recensé proche de 15 p. 100.L’Agence spatiale européenne (E.S.A., regroupant treize pays) utilise à travers le Centre national d’études spatiales (C.N.E.S.), établissement public français, le Centre spatial guyanais pour les opérations du lanceur Ariane, commercialisé par la société Arianespace (près de 4 milliards de francs de chiffre d’affaires). Un programme spécial baptisé Phedre (Partenariat Hermès développement régional) assure, au niveau de 1 milliard de francs sur cinq ans, à compter de 1990, les accompagnements en équipements et en services publics.La Guyane n’a que quelques points forts: une forêt peu exploitée; la pêche crevettière, limitée à quatre-vingts unités pour ménager la ressource, mais rencontrant la concurrence des pays pauvres; le développement de la riziculture; peut-être l’or, si le Bureau des recherches géologiques et minières (B.R.G.M.) parvient à réaliser des exploitations massives; enfin, difficilement, à échelle significative, un tourisme original appuyé sur les souvenirs du bagne et sur l’aventure.Auparavant, la Guyane avait conquis un temps, avec Gaston Monnerville, la présidence du Sénat, mais aussi, dès 1921, le Goncourt, avec René Maran. Le même thème de la contre-acculturation fut celui du poète Léon-Gontran Damas. Les héritiers ont nom Élie Stephenson, Bertène Juminer, Serge Patient.Saint-Pierre et MiquelonL’archipel de Saint-Pierre et Miquelon est peuplé de moins de 6 500 habitants, la plupart descendants des Bretons, Basques, Normands et Poitevins revenus définitivement, après les grands «dérangements» des guerres franco-anglaises, en 1816, reconstituer la «France de l’Atlantique nord». En dehors des services et des travaux publics, et après la parenthèse de la période de la prohibition pendant laquelle Saint-Pierre servit de relais aux contrebandiers, la pêche et les activités portuaires constituent les bases de l’économie. C’est pour échapper aux contraintes de l’«Europe bleue» (communautarisation des droits de pêche) qu’a été abandonné le statut de D.O.M. pour celui de collectivité spéciale. Mais, irrités par les excès halieutiques des flottilles de toutes provenances, les Canadiens ont étendu – comme d’ailleurs les autres pays – leur zone économique exclusive à 200 milles en 1977, tandis que, par ailleurs, la N.A.F.O. (l’organisation des pêches de l’Atlantique nord, qui réunit tous les États intéressés par la zone) veille à la restriction des prises. La politique des quotas imposés à la France a vidé peu à peu de son contenu un accord passé en 1972 avec le Canada. La pêche ne fut plus possible en 1988 que dans une zone de non-contrôle réciproque. Une médiation détermina, en 1989, pour une période de soudure, les quotas possibles. En juin 1992, un tribunal international d’arbitrage délimitait les zones économiques respectives selon un tracé très peu favorable à la France, avec pour conséquence d’arrêter la faculté de pêcher la morue. Il faut donc tenter de diversifier l’économie de l’archipel. Un nouveau souffle passe par un meilleur désenclavement de l’archipel; le projet de construction d’une nouvelle piste aérienne est le grand débat local.L’océan IndienL’islamique Mayotte , vendue en 1841 à la France par un sultan sakalave, ne voulut pas, en 1974, suivre les Comores dans leur choix de l’indépendance. Le statut de collectivité territoriale française fut confirmé en 1976 et en 1979. Face à l’explosion démographique (plus de 100 000 habitants contre 47 200 en 1978, dont 8 000 immigrés comoriens), l’économie est fragile: une agriculture traditionnelle, un environnement lagunaire parfois menacé, une pêche hauturière exercée par des navires espagnols; mais des services publics en voie d’amélioration, une perspective de port en eau profonde, une autre d’aéroport capable d’accueillir de gros porteurs et faisant rêver de la solution touristique. Le niveau social s’améliore et le S.M.I.C. progresse vite (250 p. 100 pour la décennie de 1980) mais reste modeste (un tiers de celui de la métropole), tout en étant très supérieur aux revenus des pays voisins.La République n’est présente que pour le compte de la Réunion dans la Commission de l’océan Indien réunissant Seychelles, Madagascar, Comores, île Maurice et France. Cette commission n’a pas ouvert un champ significatif aux échanges de la Réunion: la zone représente seulement 2 p. 100 des importations et 6 p. 100 des exportations de celle-ci, elles-mêmes inférieures de plus des trois quarts aux premières. Ainsi, les marchés voisins de l’ancienne île Bourbon n’ont été ouverts ni par les fortes empreintes françaises sur l’île Maurice et sur Madagascar, ni par toutes les interfaces ethniques qu’offrent les 600 000 habitants de la Réunion: les «petits Blancs», qu’on rattache aux lignées corsaires repliées sur «les hauts»; les héritiers cafres des esclaves africains importés quand, sous la férule de la Compagnie des Indes, l’île était celle du café; les Malbars, Tamouls et Chinois razziés pour devenir la main-d’œuvre du sucre; des échantillons, comme les zarabs, de toutes les minorités des cornes d’Arabie, d’Afrique et d’Asie... aujourd’hui, une marqueterie aux deux tiers constituée de métis créoles.La France reste la destination quasi exclusive d’exportations réunionnaises représentant moins de 10 p. 100 des importations et constituées presque uniquement des produits de la filière canne-sucre-rhum. Celle-ci ne représente toutefois que 9 p. 100 de la production agricole finale, tandis que cultures vivrières et filières viande-lait-salaisons se sont bien développées pour la consommation locale. Bâtie sur une économie de comptoirs devenant de grandes surfaces, avec plus de 60 p. 100 des emplois salariés dans les services et les commerces, et 20 p. 100 dans le secteur des entreprises de travaux publics et de construction de logements, la Réunion souffre d’un sous-emploi structurel (65 000 demandeurs) que ne saurait éliminer aucune des actions possibles: le plan de restructuration de l’économie cannière développe la productivité de la sole comme celle de sites industriels remodelés; le tourisme trouve son originalité dans les «hauts», mais aussi ses limites dans une mer souvent inhospitalière; la grande pêche est contrainte par les ressources ou par les quotas; les diversifications se heurtent au caractère marginal des marchés ou aux insuffisantes protections des labels (géranium, vanille); les contributions considérables de la République ou de l’Union européenne (à laquelle la Réunion est très attachée) développent plus les infrastructures (aéroport du Gillot) et les services que la valeur ajoutée du secteur productif.La Réunion est non seulement une terre volcanique déchiquetée, mais un volcan social que peut enflammer une vague de déception populaire, comme celle qui suivit, en 1991, l’arrêt d’une télévision pirate. Une large part d’économie sociale, qu’auraient dû mieux inspirer les possibilités du R.M.I., une politique d’exploration des marchés régionaux allant jusqu’à l’Afrique du Sud et appuyée sur la force du franc, une recherche plus poussée des possibilités d’activités nouvelles sont autant de thèmes récents qui viennent enrichir la réflexion d’une classe politique traditionnellement attachée aux remèdes classiques (émigration-formation en métropole; créolisation de la fonction publique locale).Terre du symbolisme exotique de Leconte de Lisle, la Réunion inspire une forte littérature que marquent les écrits romanesques ou théâtraux d’un Axel Gauvin ou d’un Marc Kichenepanaidou.L’océan PacifiquePolynésie et Nouvelle-Calédonie se sont toujours différenciées. À la société largement métissée de l’archipel (200 000 habitants) répondaient les cassures en ethnies de la grande île: sur environ 180 000 habitants, celle-ci compte moins de 49 p. 100 de Mélanésiens, 33,6 p. 100 d’Européens – depuis les héritiers des déportés jusqu’aux fonctionnaires métropolitains, en passant par les générations du nickel et du commerce –, la dernière partie (et l’arbitrage électoral en fait) étant constituée de populations originaires du Vanuatu, du Vietnam, d’Indonésie, de Polynésie et, en expansion marquée, de Wallis et Futuna. À l’image d’une Polynésie se plaisant aux jeux politiques s’opposait le clivage calédonien construit autour d’une division politico-raciale confrontant le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (R.P.C.R.), conduit par la famille Lafleur, mais comportant néanmoins des militants et des élus mélanésiens, et le Front de libération nationale kanak socialiste (F.L.N.K.S.) regroupant les formations ayant l’objectif d’indépendance. Dans une ambiance de séparation physique des communautés entre, d’une part, la zone développée de Nouméa et, d’autre part, la brousse profonde du Nord ainsi que les îles Loyauté, une série de crises, d’essais statutaires avortés, de mortels règlements de comptes aboutirent au drame d’Ouvéa en mai 1988.La «méthode Rocard» permettra de parvenir aux accords Matignon et Oudinot de juin et août 1988; ils engendrent la loi référendaire de novembre (qui répartit les pouvoirs entre État, territoire et provinces) et les mesures d’accompagnement politique (amnistie) ainsi qu’économique et social (contrats de développement), et prévoient un référendum d’autodétermination en 1998. L’assassinat en mai 1989, par un opposant à la conciliation, des deux chefs de l’Union calédonienne, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, qui avaient été les artisans des accords, ne remet pas en cause une évolution aujourd’hui marquée par la volonté apparente de rechercher un avenir consensuel.En Polynésie , la situation n’est pas florissante: face au déclin relatif du tourisme, aucun projet économique d’envergure ne parvient à voir le jour, en dehors du lancement d’une petite flottille de pêche semi-hauturière. La suspension des essais nucléaires compromet les activités du Centre d’expérimentation du Pacifique qui induisent près de quatre mille emplois civils et contribuent aux ressources du territoire. La Polynésie est frappée de vulnérabilités structurelles: contradiction entre une autonomie juridique grandissante et une dépendance économique accrue; déséquilibre budgétaire chronique sans réelle perspective de réforme fiscale; migration des îliens vers Papeete, secouée en 1987 de violentes émeutes provoquées par le spectacle d’une société de plaisirs offert à une jeunesse pauvre et désœuvrée, dans un milieu où la culture politique ne distingue pas toujours bien intérêt collectif et intérêt personnel.À l’échelle régionale, l’existence d’une mission diplomatique spécialisée, appuyée sur un Fonds de coopération, atteste l’importance que la France attache aux relations avec les pays de la zone. Les grandes puissances s’y regroupent dans la Commission du Pacifique Sud, qui est le support des coopérations régionales. Le Forum du Pacifique Sud réunit onze États indépendants et deux territoires autonomes. Les relations de celui-ci avec la France, animées par la contestation de la politique calédonienne et par celle des essais atomiques, se sont améliorées.Ces cadres régionaux pourraient servir d’appui à Wallis et Futuna (14 000 habitants) dont les institutions combinent un rôle important du représentant de l’État, une Assemblée territoriale et des souches de tradition (l’évêché et les rois). L’économie agricole élémentaire n’y assure pas l’emploi. L’activité tout entière est portée par les services publics. Cette situation explique le flux d’émigration.Les T.A.A.F.Les Terres australes et antarctiques françaises (T.A.A.F.) réunissent les îles Kerguelen, la terre Adélie (où se construit une piste aérienne), l’archipel Crozet et Saint-Paul et Amsterdam. Elles sont placées sous la responsabilité de gestion d’un administrateur et l’impulsion scientifique de l’Association des expéditions polaires. Leurs seuls habitants sont la centaine de personnes des missions scientifiques, appuyées sur la base Dumont d’Urville pour la réalisation de la station permanente internationale des sciences de la Terre et de l’atmosphère, dite Dome C. Parfois contestées par les écologistes, les activités comportent également la pêche aux poissons des glaces et à la langouste, et l’immatriculation de bateaux aux Kerguelen. Des traités internationaux ont placé les Terres antarctiques (Adélie) sous un régime de démilitarisation et de protection scientifique.
Encyclopédie Universelle. 2012.